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Ode aux carnets

Lucidiot Réflexions 2019-01-20
Ou comment un carnet vieux de 9 ans m'influence toujours aujourd'hui.


En repassant dans la maison de mes parents il y a quelques mois, j'ai récupéré plusieurs carnets auxquels je suis attaché. J'ai tendance à avoir peu confiance en mes parents pour laisser mes affaires en paix, donc je ramène au moins le plus sensible chez moi, puisque certains de mes carnets contiennent des informations très personnelles.

Parmi les carnets que j'ai ramené, il y en a un sur lequel je suis retombé un peu au hasard au fond de mes tiroirs, et que je considère comme mon premier « vrai » carnet. Par vrai carnet, je veux dire un carnet que j'ai vraiment utilisé comme un carnet, pas juste comme un bloc de feuilles sur lequel j'écris n'importe quoi dans tous les sens et dessine des choses bizarres. C'est un carnet qui a une assez longue histoire.

Le mardi 23 mars 2010, alors que j'étais en 5ème, je ne retrouvais plus mon agenda. Tant pis, j'ai noté les devoirs sur une feuille de brouillon qui traînait et je suis rentré à la maison. Après des recherches partout dans ma chambre, Maman conclut que l'agenda est effectivement introuvable. Puisqu'il ne me restait qu'un peu plus de deux mois, acheter un agenda maintenant serait idiot au vu de la quantité de papier gaspillé. Maman m'a donc donné un peu d'argent de poche et je suis allé tout seul au tabac-presse pour m'acheter un carnet.

Je n'ai quasiment jamais eu d'argent de poche ni de raisons d'avoir de l'argent de poche quand j'étais plus jeune, donc c'était l'une des très rares fois où je suis sorti acheter autre chose que du pain pour mes parents. Puisque mes couleurs préférées étaient et sont toujours le bleu et l'orange, j'ai pris un carnet Oxford orange 9×14cm. De retour à la maison, Maman s'est amusée dans l'après-midi à écrire les noms des jours sur chaque page, du 24 mars au 2 juillet, sauf les samedis et dimanches. Chaque jour est surligné en orange ou en rose fluo alternativement pour mettre un peu de décoration.

Et j'ai donc utilisé ce carnet comme un agenda pendant 3 mois, jusque fin juin, où j'ai finalement retrouvé mon agenda... coincé au fond de mon sac. Oups.

J'ai vécu aux environs de la fin de l'époque où les enfants n'avaient pas de téléphones, tablettes ou ordinateurs à eux. Du coup, dans ma chambre, j'avais pour m'occuper beaucoup de briques Lego, des peluches, des crayons, du papier... et un carnet orange. Puisque ce carnet n'avait plus d'utilité comme agenda, il a très vite retrouvé une utilité pour à peu près tout et n'importe quoi.

Contrairement à d'autres carnets que, comme je le disais plus haut, j'utilisais comme des blocs de feuilles, j'avais une relation plus particulière avec ce carnet, et j'essayais donc d'y faire des choses un peu plus dignes d'un carnet. Je ne sais pas si c'est parce que c'est un carnet « d'une marque, » orange, que j'ai acheté moi-même, que j'ai utilisé quotidiennement pendant des mois, ou un peu de tout ça à la fois.

Les pages qui avaient été utilisées comme agenda représentent environ un tiers du carnet, mais les devoirs qui y étaient écrits ne prenaient pas plus de la moitié de la page. Les moitiés restantes ont donc été utilisées pour noter un peu de tout :

Certaines pages du mois de juin ont été perforées avec une petite perforatrice étoilée, aujourd'hui coincée quelque part dans un tiroir chez mes parents. On peut remarquer que le carnet est légèrement enflé quand on le referme, parce que plus d'une dizaine de pages ont été recouvertes avec des bons de réduction et des étiquettes de balances de rayons fruits et légumes.

Je prenais mon carnet avec moi quand on sortait, et dès qu'on faisait les courses, je posais ma main ou mon doudou sur la balance et appuyais sur un bouton au hasard. Il y a des petits points d'exclamation à côté d'étiquettes faites dans des magasins où on ne va pas habituellement, et certaines étiquettes ont aujourd'hui leur texte presque complètement effacé ; c'est du papier thermique, ça s'efface au bout de quelques années. Carrefour semble donc utiliser des étiquettes plus résistantes que Auchan, Géant et Cora.

On y retrouve également quelques croquis datant de l'époque où je m'essayais à la création de BD, mais mon incompétence totale en dessin et en coloriage m'ont fait rapidement laisser tomber. Les pages en toute fin du carnet ont été utilisées pour noter quelques perles de mon professeur de SVT, à l'époque de BubbleLand, aka Brainshit v2.

J'ai finalement cessé d'utiliser ce carnet en 2011. Il ne reste qu'une petite dizaine de pages vides, mais maintenant que je reviens dessus, quelques années plus tard, et que je revois tout ça, je me dis qu'en fait ce carnet est tout à fait terminé.

Ce carnet est désormais à mon bureau, posé à côté d'autres carnets tels que mon tout premier Bullet Journal. Je prends désormais ce carnet comme un exemple, un symbole. Il contient des choses finalement plutôt banales mais qui me ramènent un bon nombre de souvenirs. Le carnet lui-même est un bon souvenir. Ça a un pouvoir à peu près aussi puissant qu'un album photos. J'arrive encore à me souvenir de certains stylos que j'avais utilisé pour écrire dans ce carnet rien qu'avec l'aspect de l'encre.

Après une période de quelques années en lycée et BTS où j'ai tenté de me passer au maximum de toute forme de papier, pour la simple raison que je trouvais mon écriture manuscrite beaucoup trop mauvaise pour que cela me serve à quoi que ce soit et que je me disais que j'écrivais beaucoup plus vite au clavier, je me retrouve en ce moment à tenter de revenir à l'analogique, le bon vieux papier.

Ce processus a commencé début 2017 quand j'ai commencé le Bullet Journal. Début 2018, j'ai arrêté avec mon carnet à spirales gratuit de l'Union Européenne, qui était plutôt sympathique mais manquait l'élégance d'un bon carnet et surtout un papier de bonne qualité, pour acheter un carnet Lemome et l'entamer dès mon déménagement hors de la maison. J'utilise encore ce carnet aujourd'hui, et je devrais en atteindre la fin vers mars 2019 ; je me suis procuré un Rhodia Webnotebook A6 pour le remplacer.

Mes carnets de Bullet Journal renferment eux aussi à leur manière toutes les choses de mon quotidien, ainsi que les objectifs que je me suis fixé, certains événements, des idées, des projets, etc. Quand je repasse au fil de mes pages, j'ai une sensation que je n'ai pas du tout même en allant chercher dans mon disque dur de sauvegarde les plus vieux documents que j'ai ; j'ai une certaine nostalgie, une certaine fierté, une impression que ma vie représente un peu quelque chose, qu'elle est présente là, physiquement, dans mes mains.

C'est pour ça que je prends pour exemple ce carnet orange de 2010 ; c'est aussi un bloc de ma vie. Aucun de ces carnets ne représentent l'intégralité d'une période, parce que je n'y consigne pas tout, mais ce n'est pas pour autant que je ne les considère pas comme représentant ma vie. En plus d'être une création à part entière, ils résument d'autres créations, d'autres événements.

Quelques mois après mon début du Bullet Journal, je ne voulais pas emmener avec moi ce gros carnet A5 alors que j'utilisais une sacoche d'ordinateur déjà bien remplie. Du coup, j'ai emmené à la place un carnet à spirales 9×14 cm, vert, rouge, et bleu cette fois, fabriqué par le groupe Hamelin, qui aujourd'hui détient Oxford ; coïncidence amusante. On y retrouve beaucoup de choses :

Je traîne donc ce carnet avec moi depuis près d'un an et demi, et sa couverture est relativement usée. Mais tout ce que j'ai listé ici ne représente qu'une cinquantaine de pages du carnet. Pour le reste, il faut un peu plus d'histoire.

Suite aux événements relativement chaotiques sur beaucoup de plans dans ma vie en 2018 et surtout à ma manière très mauvaise de les gérer, j'ai décidé de consacrer 2019 à m'occuper de moi. Améliorer mes habitudes, prendre du repos, me concentrer sur ce qui m'intéresse et arrêter le reste, me faire plaisir, faire preuve d'indulgence envers moi-même quand je commets des erreurs ou des oublis, etc.

J'ai pris cette décision après avoir eu un gros moment de vide, pendant plus de 3 semaines, entre novembre et décembre. Je me suis rendu compte que j'avais arrêté presque tout ce que je faisais simplement parce que j'avais raté un jour dans mon bullet journal et sur Habitica, puis un autre, et puis finalement je n'avais plus envie de faire quoi que ce soit parce que ça nécessitait de rattraper les jours précédents. J'ai écrit quelque chose sur une feuille au hasard, et puis je l'ai finalement recopié dans mon bullet journal : « je me pardonne. »

C'est quelque chose que je ne fais presque jamais, puisque je suis souvent très dur avec moi-même à la moindre erreur ou au moindre oubli, et que je suis très vulnérable à cette petite voix dans ma tête qui me dit que je ne vaux rien, que rien de ce que je fais n'a d'intérêt. Cependant, le Bullet Journal m'a appris que quand j'écris quelque chose dans un carnet, il devient presque réalité ; j'ai l'impression d'avoir en quelque sorte des comptes à rendre à mes carnets, que je ne vais pas y mentir, donc je vais réaliser ce que j'écris.

Et c'est donc par le simple acte d'écrire un petit paragraphe expliquant ma démarche dans mon journal, puis en me faisant une liste de tâches à faire pour tout remettre à plat et repartir correctement, que je me suis retrouvé à organiser des vacances de Noël très bien remplies où j'ai pu revoir plusieurs amis, à oser un peu plus réaliser certaines de mes idées, etc.

J'avais déjà vu plusieurs fois des personnes encourageant les gens à écrire un journal intime, et j'avais déjà essayé d'en faire un à l'aide de Rednotebook à l'époque où j'essayais de me débarrasser au maximum du papier, mais je n'avais tenu que deux semaines. J'ai donc essayé de faire la même chose, mais avec un carnet. Comme j'avais par le passé rapidement abandonné le journal intime, utiliser un carnet neuf semblait être du gaspillage, j'ai donc utilisé ce carnet de notes. C'est ce qui a rempli actuellement 50 autres pages dans ce carnet, et qui va probablement aussi remplir les 80 dernières.

Un journal intime sur papier n'a strictement rien à voir avec un journal numérique ; la rapidité d'écriture n'est pas du tout là, et elle oblige donc à ralentir la vitesse de nos pensées, à prendre le temps de se poser, de réfléchir, d'analyser les choses. Écrire dans mon journal intime m'a non seulement permis de réaffirmer encore à l'écrit ma volonté de me pardonner et de prendre soin de moi en 2019, mais aussi de divaguer sur des sujets variés, raconter mes journées et faire le point sur des difficultés que j'aurais pu y rencontrer, définir des objectifs concrets pour une journée en écrivant le matin, rationaliser mes émotions, mon anxiété, mes doutes, et tout simplement prendre du temps avec moi-même pour écouter ce que je pense, ce que je ressens, et décider de choses qui me conviennent finalement le mieux.

Je travaille à présent à améliorer mes habitudes de sommeil. Je vise de me réveiller à 6h tous les matins en semaine, et à 8h les week-ends. C'est un peu aussi avec le journal intime que j'ai pu constater ce problème. Et dans le même temps, vu que je commence à découvrir un vrai intérêt pour tous les carnets en 9×14cm, je me suis payé un an d'abonnement à Field Notes, une entreprise américaine qui vend des carnets de 48 pages entièrement fabriqués aux États-Unis et conçus pour être usés.

L'abonnement me donnera droit à 4 livraisons tout au long de l'année, pour un total de 30 carnets, comprenant leurs nouvelles éditions limitées. J'ai aussi pris à côté 3 carnets de leur édition limitée d'été 2018, Three Missions, parce que je suis totalement amoureux de ces couvertures spatiales. Ces trois derniers carnets prendront le relais pour mon journal intime. Je considère ça comme une manière de prendre soin de moi ; j'accorde une importance grandissante aux carnets et ils sont aujourd'hui mon point de départ pour tout le reste, alors autant y accorder l'attention qu'ils méritent.

J'ai voulu écrire cet article et raconter toute cette histoire afin d'essayer de transmettre un message simple : le papier, c'est important. Les ordinateurs dématérialisent tout et suppriment les sensations physiques, accélèrent tout et ne nous donnent plus le temps de penser, de faire attention à ce qu'on fait ou à soi-même. Écrire un journal papier peut être vu comme une forme de méditation, et simplement mener des réflexions sur papier peut amener à des choses intéressantes.

Si vous avez du mal à vous organiser, à gérer vos émotions, à vous détendre, à réfléchir, ou si vous ne savez tout simplement pas si vous rentrez dans ces critères, essayez d'utiliser un carnet. Essayez les Morning Pages, un journal intime, un carnet à dessins, un bullet journal, une collection d'étiquettes de balances de fruits et légumes, bref, utilisez un carnet.


Commentaires

aymac, 2019-08-29

Très bon article! Je te souhaite beaucoup de réussite

Fluffy, 2019-01-21

Oui, c'était juste un peu de troll pour Carnet (l'application). J'ai suivi un peu le même cheminement que toi, en prépa, quand je n'avais pas d'ordinateur sous la main, je me suis dit que ce serait quand même plus pratique, mais au final une version papier a quand même de nombreux avantages !

Valentin, 2019-01-20

Super article et lourd de sens comme d'habitude

TIGRE, 2019-01-20

braha

Fluffy, 2019-01-20

Perso, ce que je trouve le plus utile, c'est un tout petit bloc-note (donc pas un carnet), mais qui tient dans ma poche (avec un mini crayon à papier) pour pouvoir noter des choses à tous moments.

Quand aux carnets à proprement parler... J'en ai un que je ne remplis pas vite. Je ne trouve pas forcément quoi y mettre, mais de temps en temps, j'y note des choses, et je m'amuse avec un alphabet de mon cru.

(Et sinon, avez-vous entendu parlé de Carnet, l'application développée par Phie qui monte malgré le silence des médias ?)

Lucidiot, 2019-01-20

@Fluffy : Les carnets et les bloc-notes, je mets ça à peu près dans le même panier. Chez moi et au boulot j'ai un bloc A5 que j'utilise pour réfléchir sur des calculs ou des algorithmes, et je ne peux pas m'en passer. Pour noter des choses sans gaspiller 1 tonne de post-its, c'est pratique aussi.
Je connais Carnet personnellement, c'est intéressant mais ça va un peu à l'encontre de ce que j'explique dans l'article ; le papier ça bat tous les périphériques. Mais si on veut l'utiliser pour garder des liens, des photos, etc. ça peut servir.