lucidiot's cybrecluster

Carthage, chapitre 2

Lucidiot Écrits 2018-06-28
Où suis-je ?


L'odeur de la terre. Un goût étrange dans ma bouche, comme un anesthésiant de dentiste. Des chants d'oiseaux. Une légère brise faisant bouger des feuilles d'arbre. Le bruit du tonnerre au loin. Et un gros mal de crâne.

J'ouvre mes yeux péniblement et constate que je suis à plat ventre, par terre. Je regarde autour de moi et déduis que je suis dans une forêt, en automne, par temps nuageux. La brise cause un léger tourbillon de feuilles mortes à côté de moi et l'une d'entre elles se pose devant ma bouche alors que je prenais une inspiration, me faisant tousser et me forçant à bouger mes bras. Je remarque que mes poignets me font mal, et tire un peu ma manche gauche pour constater qu'ils portent des marques, comme si j'avais été attaché.

Je me rends alors compte d'une chose ; je ne me souviens de rien. Je ne sais pas quel jour nous sommes, où suis-je, ou d'où viens-je. Je pose mes mains sur le sol, me relève doucement et essaie de retrouver mon équilibre avant d'essuyer mes mains sur mon pantalon noir. Je regarde aux alentours et ne vois rien qui m'interpelle ou me rappelle quoi que ce soit.

Les nuages m'empêchent de voir dans quelle direction se trouve le Soleil. Je suis sur une légère pente, et décide donc de rejoindre le sommet de cette côte pour peut-être obtenir de meilleurs repères. Je marche donc doucement, titubant presque en sentant mes chevilles aussi endolories que mes poignets.

Il n'y a pas le moindre bruit dans cette forêt autre que des chants d'oiseaux et du vent. Ce silence m'invite à marcher prudemment. Un léger crépitement des brindilles et des feuilles mortes se fait donc entendre, sous le poids de chacun de mes pas, tandis que je tente de monter la légère côte.

Arrivé en haut, je m'attendais à obtenir quelque chose comme une vue d'ensemble, comme si j'étais vraiment au sommet d'une colline. J'ai été déçu ; j'ai simplement remonté une sorte de fossé ou de cuvette et ai atteint un champ de maïs. Mais j'aperçois au loin un toit pentu en ardoise, et me dis que c'est ma chance.

Alors que je tentasse de reprendre ma marche en direction de ce signe de civilisation, de nouveaux craquements de brindilles se firent entendre, plus discrets mais plus nombreux, et ne provenant pas de mes chaussures. Je tente de doucement tourner la tête et de regarder derrière moi, pour constater qu'une meute de chiens errants s'approche lentement de moi. J'ai pu constater que leurs yeux étincelaient de rouge, et bien que je n'aie pas la moindre idée de ce que ça signifie, ça m'a conforté dans la réaction à adopter.

Malgré la douleur toujours persistante et ma migraine, je me mis à courir aussi vite que je le pus. En courant, je sens autour de ma ceinture un poids qui tape régulièrement sur ma jambe droite. En le saisissant, je constate que c'est une arme à feu. Je ne sais pas d'où j'ai appris ça, mais je charge l'arme, enlève le cran de sécurité et tente de tirer derrière moi, sur l'un des chiens qui se rapproche dangeureusement.

Je tire deux coups, mais aucun des deux ne sera un succès, si on ne compte pas l'envolée d'une nuée de corbeaux comme un succès. Le bruit surprit cependant le chien, et je pus gagner quelques mètres. Je sors du champ de maïs et rejoins un chemin en gravier alors que je commence à vraiment m'essoufler.

Mes jambes finissent par me lâcher assez rapidement et je n'arrive plus à avoir la force de courir. Je ralentis, et les chiens me rattrapent. Je trébuche idiotement sur une pierre du chemin et tombe en avant, parvenant quand même à amortir en posant mes avant-bras au sol. Je ferme les yeux, me préparant aux morsures imminentes.

Les quelques secondes qui suivirent me parurent une éternité. J'entendis les aboiements de mes poursuivants, suivis par d'autres coups de feu, d'une arme de plus gros calibre, exécutés de manière régulière et méthodique. Chaque coup fut suivi par un léger gémissement. Je reste immobile, ma tête posée sur mes avant-bras, jusqu'à ce qu'une grosse voix se fasse entendre.

« Allez, lève-toi ! »

Je rouvris les yeux et aperçus un homme noir plutôt baraqué et portant les mêmes vêtements entièrement noirs que moi, tenant à la main un fusil de chasse. Je m'exécute, et regarde derrière moi pour voir cinq bergers belges morts. L'homme reprit la parole.

« Tu t'es réveillé dans la forêt sans savoir d'où tu viens ? »

J'acquiesce, et il me fait signe de le suivre. Nous marchons un peu jusqu'à rejoindre un portillon métallique menant au jardin d'une des maisons. Je remarque que la serrure est cassée. Nous entrons dans le jardin, et en observant de plus près la maison, elle a un style breton ; des murs blancs en crépi et un toit en ardoise. Les murs sont tâchés de traces rouges cramoisi venant du toit, probablement suite à la pluie, et sont surtout recouverts de lierre et autres plantes grimpantes. La maison a l'air d'avoir été abandonnée il y a un moment, et la nature y a repris ses droits.

Dans le jardin se trouve également une cabane, construite à partir de palettes ou d'autres morceaux de bois récupérés un peu partout. C'est là que l'homme va en premier, forçant un peu et sortant une porte de ses gonds, qui n'ont visiblement jamais vraiment joué leur rôle de charnières, pour rentrer et attraper quelque chose qu'il me tend aussitôt. Un second fusil, équipé d'une bandoulière.

« Tu risques d'en avoir besoin. »

Un peu hésitant, je pris finalement l'arme et l'observai pendant un moment. Mon cerveau semblait déjà savoir s'en servir parfaitement, bien que je n'aie aucune idée de comment j'ai pu obtenir ces connaissances-là. Je mis finalement l'arme sur mon épaule et suivi l'homme en direction de la maison.

Nous entrons dans ce qui devait autrefois être la cuisine ; une table en bois sombre au centre, recouverte de poussière, et bordée par deux bancs. Vraiment rustique. Nous nous asseyons sur les bancs et l'homme fouille dans un sac et me donne une gourde, du pain et quelques pommes de terre mal lavées.

« Je ne sais pas exactement quelle heure il est, mais je sais que nous sommes en début de soirée. Débrouille-toi pour te faire ton dîner, nous allons partir bientôt. Je suppose que tu as beaucoup de questions en attendant. »

J'ouvre la bouche pour prendre la parole, mais je suis soudainement pris d'un violent mal de tête, suffisament pour me faire lâcher mes pommes de terre, appuyer mes mains sur mes tempes et gémir. La douleur se réduit, suffisamment pour que je rouvre mes yeux, mais est toujours présente, et je me retrouve dans un lieu sombre. Un bâtiment mal chauffé, d'après le frisson que je viens d'avoir. La pièce est éclairée par la lumière bleutée d'un écran et une voix féminine et rauque m'interpelle et me demande de me remettre au travail.

Je tourne la tête pour essayer d'identifier d'où vient cette voix, mais la douleur reprend en intensité ; je lutte pour ne pas refermer les yeux, mais j'échoue, et la douleur cesse instantanément ensuite. Je me retrouve à nouveau dans la maison en compagnie de l'homme qui semble m'attendre.

« Voilà qui répondra probablement à certaines de tes questions. Tu viens d'avoir comme moi une sorte de flash de ton ancienne vie ; ma théorie est qu'on a effacé notre mémoire mais que quelques bribes parviennent quand même à remonter à la surface.
— Qu'est-ce que c'était ?!
— Pas de panique. De ce que j'ai compris, ce bâtiment est notre ancien lieu de travail, et nous étions visiblement dans une sorte de projet militaire secret. Je me souviens avoir vu la tour Eiffel clignoter par la fenêtre dans un de mes flashs, j'en ai déjà eu trois ou quatre, alors mon plan est d'aller à Paris ce soir.
— Et comment on y va ? »

L'homme sortit de son sac en toile un bloc de feuilles de papier et le feuillette. Il me montre une des pages, et je constate qu'un tableau rempli d'horaires est imprimé sur la feuille.

« Ce sont des horaires de passage des trains de marchandises à un point de contrôle situé à quelques minutes d'ici. Je les ai trouvées dans une autre maison, visiblement d'un cheminot. Ce soir, on va aller juste à côté de ce point et essayer de monter dans un train. »

Jour 1, peu avant vingt-deux heures trente. La nuit est tombée, et j'ai suivi l'homme en direction du point de contrôle des trains de marchandises. Nous avons suivi une route départementale plutôt calme à cette heure, éclairés par la lune et les phares de quelques rares voitures. Nous nous sommes écartés du chemin peu avant un pont passant au-dessus de la voie ferrée.

De ce qu'il m'a expliqué, les trains de marchandises ont des points de contrôle pour vérifier que la marchandise est en bon état, et ce sont des endroits où les trains ralentissent suffisamment pour pouvoir monter dessus discrètement. En pleine nuit, habillés en noir comme nous le sommes, on peut facilement monter. J'ai décidé de lui faire confiance, vu que nous semblons avoir vécu les mêmes histoires, et je le suis donc.

Nous nous cachons un peu dans les hautes herbes, priant pour qu'un Pokémon sauvage n'y apparaisse pas, et nous nous approchons doucement d'un grillage. Comme tout bon grillage, on y trouve forcément un endroit où tout a déjà été découpé pour nous. Nous ne passons pas pour l'instant, afin de ne pas être en vue, et nous guettons.

Pas de train à l'horizon. Le seul bruit qu'on peut entendre est le léger sifflement du vent nocturne, plus frais que tout à l'heure. Nous patientons, croyant en ces horaires vieilles d'au moins cinq ans et priant pour qu'il y ait toujours du trafic.

Ce ne sera pas un train qui arrivera en premier mais des gouttes, que je commence à sentir dans ma nuque et sur mes mains, avant de constater qu'il se met effectivement à pleuvoir. Ça facilitera beaucoup l'attente.

Je viens en passant de me rendre compte que je suis de nature plutôt impatiente. Voilà qui est intéressant, je n'en avais aucun souvenir. Mais je n'aurai pas le temps de m'énerver dans cette attente ; mon guide de voyage attire mon attention à ma gauche, au loin : on voit apparaître la lueur des phares d'un train. De l'autre côté, je vois également les lampes-torches des cheminots, qui doivent sans doute se préparer à contrôler le train.

Nous remontons vers la route et essayons de regagner l'autre côté du point de contrôle ; le train arrivait dans le mauvais sens et nous serions vu par les employés presque immédiatement après être montés. Après quelques minutes, le train passe, freine un peu, et atteint une vitesse suffisamment basse pour nous permettre de monter sans prendre trop de risques. Nous franchissons alors le grillage et courons pour essayer de trouver le premier wagon adapté.

Bingo ! Parmi les explications de tout à l'heure, j'ai également appris comment reconnaître un wagon acceptable et qui ne nous tuerait pas. J'ai trouvé un wagon-citerne. Puisque les citernes sont circulaires, pour les faire tenir sur le wagons, il y a des pièces métalliques au bout et qui forment une sorte de petit abri où on peut se cacher facilement. Alors que j'essayais de courir à la vitesse du train et m'apprêtais à monter sur la petite échelle du wagon, essayant de faire vite avant que le train n'accélère à nouveau, je suis surpris par un gros cri, émis par mon acolyte. Je le vois s'étaler à terre et vivre visiblement un nouvel épisode de souvenir.

Je décide d'abandonner ma course et de le rejoindre pour l'aider ; mais des cheminots l'ont entendu et vont nous rejoindre pour probablement ensuite appeler la police et nous mettre en garde à vue. Je le saisis par les aisselles et le traîne derrière le pont, hors de leur vue, même si je sais que ça ne servira pas à grand chose puisqu'ils vont nous rattraper.

Il continue à crier et j'entends les pas des agents de sécurité se rapprochant rapidement. Je suis coincé.


Commentaires

valentintintin, 2018-06-28

Enfin la suite !
L'histoire par en cacahuète, ça m'a surpris mais j'ai hâte de savoir ce que tu nous réserves.
Vite la suite :)