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Vacances, chapitre 2

Lucidiot Écrits 2018-01-04
Un plot twist éblouissant suivi d'un plot-twist de porc.


Dix-sept heures et treize minutes. Cela maintenant neuf minutes que je suis à bord d'un train vide, en pleine heure de pointe, assis sur l'une des meilleures places, avec un groupe d'une dizaine de personnes dont un de mes amis. Le voyage se passe tout en silence, personne ne sachant quoi dire ou penser de ce qui nous est arrivé.

Je prends mon téléphone et regarde s'il y a eu des articles publiés à propos de ce qui nous est arrivé. Rien n'apparaît. Alors que je repris ma contemplation du paysage par la fenêtre, et que l'heure passe à dix-sept heures et quatorze minutes, une très forte lumière blanche englobe notre train, nous éblouissant, et un bruit assez caractéristique et familier rappelant un bruit de rembobinage de cassette se fait entendre.

Seize heures et vingt-trois minutes, heure de Paris. Après avoir terminé avec quarante-neuf minutes d'avance l'examen de programmation objet, il est temps de sortir. Je m'arrête brusquement dans mon geste pour ranger mon sac, et tourne la tête vers les autres étudiants et le professeur. Ils commencent à leur tour à réagir, et nous nous échangeons des regards interloqués. Un des étudiants daigne poser la question : « Mais qu'est-ce qui se passe ? »

Il y a à peine quelques secondes, j'étais à bord d'un train après avoir survécu à une boucherie comparable à une attaque de zombies, croyant que tout était fini, que j'allais pouvoir rentrer tranquillement chez moi pour me préparer à fêter Noël, et que j'allais pouvoir profiter de ma place assise dans le train. Maintenant, je me retrouve à devoir tout recommencer de zéro.

Tandis que tout le monde pose des questions et formule des hypothèses farfelues, ou panique tout simplement, je pense très fort dans ma tête que les doigts de ma main gauche peuvent passer à travers la paume de ma main droite. Tout en appuyant réellement les doigts contre ma paume, je m'imagine cette action impossible, et rien ne se passe.1 J'en parviens à la conclusion que nous sommes bel et bien dans la réalité ; soit nous avons été victimes d'une hallucination collective, soit nous avons voyagé dans le temps. Il n'y a qu'une seule manière de le savoir.

Seize heures et vingt-cinq minutes. Je range mes affaires, pose ma feuille sur le bureau du prof, et sors de la salle alors que ledit prof appelle au calme. Je dévale les escaliers, sors par la porte la plus légère, rejoins la station de métro en courant pour tenter de rattraper mes deux minutes de retard, et prends le métro. Pas de ralentissement cette fois, et j'écoute distraitement des conversations de passagers sur leurs théories concernant ce gros flash.

En arrivant à la gare, je me suis concentré sur ce flash blanc. Le bruit de rembobinage qu'il a fait me rappelait quelque chose ; il avait l'air familier. En attendant l'annonce de la voie du train à seize heures et cinquante-deux minutes, je pris donc le temps de faire appel à un expert sur la question. Je déverrouille mon téléphone et cherche le bon contact, puis lance l'appel. Je garde le combiné loin de ma tête pendant quelques instants, attendant d'entendre la sonnerie, pour éviter de recevoir des ondes dans un réflexe peut-être hérité d'un ancêtre conspirationniste, puis je la pose contre mon oreille.

Après les quelques secondes pour que nous nous saluions et faisions des banalités conversationnelles, je lui pose la question qui me dérange. « Toi aussi, tu penses avoir subi un retour vers le passé ?
— Oui, le bruit m'a rappelé ça aussi, mais ça m'étonne qu'on s'en souvienne encore. »

Tandis qu'il me parle, je regarde à mes alentours, et constate un grand vide dans la gare. Tous les passagers qui attendaient au milieu de la gare avant de courir et de devenir fous ne sont plus là.

« Et dans un retour vers le passé, les gens décédés restent décédés, n'est-ce pas ?
— Oui, pourquoi tu me demandes ça ? Il y a eu des morts chez toi ?
— Peut-être oui, je t'expliquerai plus tard, je dois te laisser. »

Je lui raccroche presque au nez en espérant qu'il ne m'en voudra pas trop quand je vois Ralph arriver vers moi, accompagné de quelques uns des passagers qui étaient avec moi dans le train avant le retour vers le passé. Ils me font un topo de ce qu'ils ont vu à la gare après le voyage temporel. Ce que je craignais était réel ; des dizaines de personnes ont été retrouvées inanimées juste après le voyage. Les morts sont... morts.

Seize heures et cinquante-deux minutes. La voie de notre train est annoncée, comme prévu, et nous montons à bord en marchant tranquillement et nous installons aux mêmes places que la première fois. Juste pour être sûr, je prends le temps de vérifier que la vitre brisée ne l'était plus. Je commence ensuite à discuter avec mes « collègues » de ce que je sais de la situation.

Mon hypothèse est que nous avons effectué un retour vers le passé de cinquante-et-une minutes. De ce qu'on sait sur les retours vers le passé tels qu'ils ont existé dans le dessin animé de mon enfance et de celle de Valou2, les gens blessés restent blessés, et les personnes décédées restent décédées après un voyage temporel.

Ce qui ne colle cependant pas à cette théorie, c'est que nous ayions tous conservés des souvenirs de ce qui s'est passé ; la procédure de retour vers le passé est gérée par un supercalculateur qui gère le monde virtuel à l'origine du nom du dessin animé, et seules les personnes ayant été transportées au moins une fois dans ce monde peuvent conserver un souvenir du futur qui a été effacé. Il est cependant certain, au vu de la mort des morts, que nous n'avons ni été victimes d'une hallucination collective, ni tous fait le même rêve.

Le reste du voyage s'est passé sans encombres, et nous avons poursuivi les discussions sur nos théories et lu des articles Wikipédia sur le voyage temporel. J'ai également pris le temps de m'excuser après de Valou et de lui résumer toute la situation, tout en étant coupé par des zones où mon téléphone ne capte rien sur l'itinéraire du train. Enfin, nous arrivons à Douai, sains et saufs.

À ce moment-là, je me dis que peut-être ce problème n'aura plus jamais lieu, qu'il ne sera pas expliqué par les scientifiques et qu'on passera à autre chose. J'espère que je vais pouvoir rentrer chez moi et manger une bonne raclette en attendant Noël. Mais cet espoir a du mal à rester dans ma tête quand je suis distrait par les témoins de Jéhovah, postés comme chaque jour au niveau des arrêts de bus de la gare, mais qui crient cette fois à l'arrivée de la fin du monde, qui invitent avec encore plus de ferveur des gens à rejoindre leur cause, à gaspiller de l'argent dans cette secte pour être pardonnés et aller au paradis, dans l'espoir qu'ils tomberont sur quelqu'un d'assez crédule pour les écouter et les croire.

Je maintiens mes distances avec eux et fais en sorte de les éviter après avoir salué Ralph sur le parvis de la gare où nous nous sommes séparés, et je repris ma route en direction de mon lit. Tout le long du chemin, je n'ai pas cessé de me retourner, de regarder partout autour de moi, pour être prêt à fuir n'importe quel danger.

Tout se passait finalement bien, jusqu'à ce que je sois arrêté par une foule de gens semblant attendre dans le froid quelque chose. J'aurai peut-être pu passer au travers, mais ça pourrait attirer la colère, et au vu de ce qui s'est passé la dernière fois, je préfère éviter toute interférence. Je pris donc soin de rester à l'abri, un peu plus bas dans la rue, assis sur un banc.

Je ne pouvais pas passer ailleurs pour rejoindre ma maison à cause de travaux, alors je n'ai guère eu d'autre choix que d'attendre qu'une ouverture se fasse dans la foule pour me permettre de passer. En attendant, je pris le temps d'observer cette foule et surtout de tenter de comprendre ce qui les attire tant.

La réponse fut vite trouvée ; des grandes affiches sur la boucherie devant laquelle se tient tout ce monde annoncent des promotions sur le foie gras et la dinde. En ce vendredi vingt-trois décembre, il n'y avait pas de meilleur moment, et ça a l'air d'avoir plutôt bien réussi ; des dizaines de mamans et de papas poules, parfois accompagnés de leurs gros dindons autrements appelés « gosses, » qui attendent leur tour pour pouvoir s'engraisser à moindre coût, bloquent mon passage.

Je commence à entendre des cris, pas d'humains, plutôt des bruits de cochons. Je rigole un peu, en me disant que les gosses ne sont peut-être pas des dindons finalement, avant que je ne commence à voir certaines personnes se mettre à courir. Comprenant vite que mon vœu de pouvoir rentrer tranquillement chez moi ne sera vraiment pas exaucé, je regarde autour de moi pour chercher un endroit où me réfugier. J'aperçois quelqu'un monter sur un toit avec un escabeau laissé là lors d'un chantier.

Alors que je décide de rejoindre cet humain dont l'intelligence apparaît meilleure que celle de certains autres, je jette un regard vers la boucherie, d'où les cris de cochons n'ont pas cessé, et je vois la baie vitrée de la boucherie se briser en mille morceaux, révélant un bien gros cochon.

La foule se dispersa rapidement, tout le monde fuyant aussi vite que des musulmans dans une blague raciste devant l'animal qui commença à attaquer tous les humains qu'il croise. L'homme que j'essaie de rejoindre me tend la main alors que le porc se dirige vers moi, et il me tire sur le toit du garage juste au moment où le cochon domestique soudainement redevenu très sauvage percute l'escabeau et le fait tomber, écrasant au passage une mère qui tentait de faire monter sa fille avec nous.

Je vois sortir de la baie vitrée de la boucherie des dizaines d'autres cochons, et je n'essaie même pas de me questionner sur la raison de la présence d'autant de cochons dans une si petite boucherie, qui plus est vivants, alors que j'assiste au mouvement de panique et à l'agonie des parents et enfants, dont les corps laissent apparaître des traces de pieds de porc. Une grand-mère, ayant été jusque là épargnée miraculeusement, se viande par terre après avoir été poussée par deux cochons simultanément.

Les cochons finissent par s'en aller en direction de la gare, puisqu'ils ont finalement réussi à exterminer toute forme de vie humaine dans la rue. C'est à ce moment que nous décidons tous les deux d'essayer de redescendre. Je rate un peu mon saut et me fais une égratignure à la main droite. Nous courons en direction du pont, que nous empruntons.

Nous sommes trop occupés par notre fuite pour prendre le temps de nous échanger le moindre mot. Je cours en direction de chez moi, avant de constater qu'un des cochons a été faire un tour dans la boulangerie juste après le pont. Je m'arrête, me retourne et voit l'homme me faire un signe de la main. Je le rejoins, et nous nous réfugions finalement en dessous du pont.

Dix-huit heures et quatre minutes. En temps normal, je suis chez moi depuis dix-huit minutes, je viens de manger un cookie acheté chez Subway, de lire mes mails et de vérifier que tout aille bien sur Brainshit. Nous reprenons notre souffle, et l'homme me demande si je pense que tout ça a un lien avec le flash blanc. Je lui réponds que c'est probable, et qu'on le saura de toute façon probablement lors du prochain flash.

Je tends la main pour lui montrer du doigt une sphère blanche arrivant à toute vitesse vers nous, mais il n'eut pas le temps de tourner sa tête. J'ai pensé à regarder ma montre juste à temps, si je puis dire, Dix-huit heures, cinq minutes, zéro secondes.

Dix-sept heures et quatorze minutes. Cela maintenant dix minutes que je suis à bord d'un train vide, en pleine heure de pointe, assis sur l'une des meilleures places, avec un groupe d'une dizaine de personnes dont un de mes amis. D'un air lassé, je prends la parole.

« Des cochons ont fait une boucherie dans une boucherie à Douai. »


  1. Cette action s'appelle un test de réalité. Il en existe plus d'une dizaine, et ils sont utilisés pour prendre le contrôle de ses rêves↩︎

  2. Un exemple de retour vers le passé ↩︎


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