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Carthage, chapitre 3

Lucidiot Écrits 2019-08-20
Mais qu'est-ce que ça peut bien avoir à voir avec le reste ?


Une belle fin d'après-midi d'été. Le soleil chaud fait progressivement se rallonger les ombres des arbres, palissades, maisons de cette rue large et bordée de verdure. On entend au loin les cris des enfants qui jouent dans la piscine, et une légère brise rafraîchit l'air juste assez pour ne pas faire de cette météo un temps caniculaire. Tout semble si parfait. Mais un éclat de porcelaine se fait soudainement entendre depuis l'une des maisons.

Clic.

« Bon, et si on se jetait d'un toit ? »

Dimanche 27 janvier 2002. Je tiens la porte à Sarah, et nous sortons tranquillement du cinéma. Elle rit à ma proposition un tantinet décalée.

« Non merci... et puis, si c'est un rêve, je préfère qu'il dure aussi longtemps que possible. »

Elle me regarde dans les yeux avec insistance. Mal à l'aise, je me racle bruyamment la gorge et regarde ailleurs, ce à quoi elle réagit par un sourire narquois.

— On va manger quelque chose ?
— Avec plaisir ! Pizza ?
— Pizza.

Et c'est ainsi que, tout sourire, nous quittâmes le parking du cinéma pour rejoindre notre restaurant italien préféré. Une séance de Vanilla Sky, ça creuse.

Clic.

Je retire mes mains de ma nuque et relève la tête pour affronter le regard plein de rage de ma dulcinée. Alors qu'elle se saisît d'une nouvelle assiette et s'apprête à me la lancer à la figure, je m'exclamai :

— C'est certainement pas ça qui va t'aider devant le juge !
— Tu crois que j'en quelque chose à faire, quand tu n'as fait que me pourrir la vie pendant des années ?

Huit ans. Presque huit ans que j'ai passé à essayer de supporter ses changements d'humeur. J'ai essayé de l'emmener voir un psy, après avoir acquis suffisamment de courage au travers du groupe de parole où je me rends régulièrement sans qu'elle ne soit au courant. Inutile de préciser que ça n'a pas été bien accueilli.

Clic.

« Euh... S-Sarah ? »

À cette timide phrase, une jolie brune aux cheveux frisés se retourne. Elle pose ses yeux bleus sur le jeune homme, qui ne put s'empêcher de détourner son regard.

— Salut, toi. Ludovic, c'est ça ?
— Euh o-oui.
— Allez, fais pas ton timide et viens t'assoir.

Il s'assit en face d'elle, posa son sac et sortit un cahier. La discrétion n'était visiblement pas de mise quand il chercha sa page avec ses mains tremblotantes, au vu du bruit de feuilletage résonnant dans la bibliothèque. Sarah sourit et se mord légèrement la lèvre inférieure, comme pour se préparer à se faire gronder.

Clic.

La musique du générique de fin cesse subitement de résonner dans l'appartement, en réponse à l'appui du bouton rouge sur la télécommande. En s'appuyant avec ses bras sur le canapé, elle se lève doucement, en grognant un peu. Lentement, elle parvient à rejoindre la salle de bain. Elle allume le néon au dessus du lavabo et se regarde dans le miroir, perdue dans ses pensées.

Elle finit par reprendre ses esprits après un laps de temps bien trop long à son goût. Elle ouvre le placard à sa gauche et en sort un sac hermétique rempli de produits cosmétiques, qu'elle ouvre. Elle y plonge la main, sort un tube, et pose le sac sur la machine à laver. Elle soulève son T-shirt et le tient avec son menton contre son sternum pour le garder en place. Elle mit un peu de crème dans sa main droite, avant de remettre le tube dans le sac. Elle se met à frissonner au contact de la crème sur son ventre, et commence à faire des mouvements circulaires pour étaler la crème sur toute la peau.

« Tu t'en vas ? »

Ludovic franchit la porte et s'approche d'elle.

« C'est mon dernier service de nuit, si tu veux demain après-midi on pourra aller se promener. Bonne nuit ! »

Il posa une main sur le ventre de Sarah, qui doit accoucher dans environ trois mois, et l'embrasse, avant de sortir de l'appartement.

Clic.

De retour de la bibliothèque après une après-midi de révisions, Sarah rentre dans sa chambre, jette son sac à dos à côté d'une étagère, et se jette sur son matelas, sur le ventre. Elle plante la tête dans son oreiller et le plaque autour de ses joues avec ses mains pour cacher son visage, tout en rigolant doucement.

« Il est trop mignon ! »

Alors qu'elle restait immobile, le visage tout rouge, toujours coincée dans son oreiller, sa respiration se coupa brusquement. Paniquée, elle se relève et tâte sa nuque comme pour essayer d'enlever ce qui la bloque ou de comprendre ce qui lui arrive. Elle essaie d'appeler au secours, à en juger de son regard apeuré tourné vers la porte de sa chambre, puisqu'elle ne put faire aucun bruit. Après plusieurs secondes de suffocation, sa respiration reprit aussi subitement qu'elle s'était arrêtée.

Sarah prend une grande inspiration et prend le temps de reprendre son souffle, assise sur ses genoux sur le matelas. En tous cas, c'est ce qu'elle voulait faire ; à la place, son corps se mit à lancer un gros coup de poing vers son coussin. Puis un autre. Elle commence à grogner comme si elle venait soudainement d'être prise d'une rage extrême. Elle ne comprend pas pourquoi son corps fait ça, ni pourquoi il ne répond plus à ses ordres. Elle entend sa propre voix intérieure, comme s'il y avait une deuxième conscience dans sa tête, et qu'elle n'était que spectatrice.

Les coups de poings continuèrent pendant une petite minute, une très longue minute pour Sarah, avant qu'elle ne retombe à côté de son coussin et qu'elle prenne cette fois sa grande inspiration. Elle resta là, immobile dans cette position assez inconfortable, à essayer de comprendre ce qui lui est arrivée.

Clic.

Amélie, du haut de ses presque sept ans, essaie de se faire la plus petite possible derrière la table haute de la cuisine, et écoute.

— Allez, qu'est-ce que t'attends, casse-toi d'ici et retourne donc boire un coup avec ton Stéphane, sale pochtron ! cria-t-elle en s'emparant du premier objet venu sur le meuble derrière elle pour en faire un nouveau projectile.
— Je te l'ai déjà dit, Stéphane n'existe pas, il n'a jamais existé !
— Alors qui c'est, hein ? C'est ta maîtresse ? C'est quoi son vrai nom ?

Les larmes coulaient sans s'arrêter sur les joues de la fillette. Pourquoi Papa et Maman ne peuvent-ils pas se mettre d'accord ? Ils s'aiment, non ?

Clic.

— Depuis que je suis chez ma meilleure amie je passe chaque nuit à me demander quand est-ce qu'il viendra me chercher pour me faire à nouveau mal et je n'arrive plus à dormir de la nuit !
— Tu as bien une lampe torche avec toi ? Quand ça ne va pas, lève-toi et va vérifier les portes, les fenêtres, vois que tout est bien fermé, et tout ira bien. Tu sais très bien qu'il ne peut pas te retrouver, vous êtes à des kilomètres, et il ne connaît rien de tout ça. Ça va aller, d'accord ?

Elle acquiesça lentement, et l'homme se retourna en réaction à un bruit de porte. Un homme blond s'approche et s'assoit sur la seule chaise libre au milieu du gymnase.

— Ah, le voilà. Comme je vous le disais tout à l'heure, nous avons un nouvel arrivant. Tu veux bien te présenter ?
— Euh... bonsoir, je m'appelle Ludovic, j'ai 26 ans. Je suis marié depuis six ans à une femme nommée Sarah, qui était juste parfaite. C'est la meilleure description que je puisse donner. Tout allait pour le mieux, nous étions sur notre petit nuage, jusqu'à notre mariage, un peu précipité par une grossesse. Après la lune de miel, l'accouchement, la joie d'avoir un enfant, ça a commencé par des petites disputes habituelles de couple. Mais je suis de nature à me laisser faire, alors ça a empiré. Elle en profite bien pour m'obliger à répondre à ses moindres désirs, et à chaque fois que j'essaie de résister elle devient de plus en plus violente.
— Pourquoi venir maintenant, au bout de six ans, et pas avant ou plus tard ? Est-ce que quelque chose a changé ?
— En fait, oui. Si je viens ici, c'est surtout pour ma fille. Au début, généralement, elle pleurait bien fort pour nous signifier qu'elle ne voulait pas nous voir nous disputer, et au bout d'un moment l'instinct maternel de Sarah finissait quand même par se déclencher, elle prenait notre fille en pitié et elle se calmait au moins pour la soirée. Mais depuis quelques temps, elle a commencé à s'en prendre à elle aussi.

Clic.

« Écoutez, je... Je ne sais pas ce qui m'est arrivé. En pleine nuit, elle est venue devant chez moi. Elle a hurlé, elle a mis des coups de pied dans la porte. Amélie avait peur, elle pleurait. Je n'arrivais pas à dormir. J'ai fini par réussir à m'endormir par miracle, et j'ai rêvé que j'allais dans la cuisine. J'ai pris un couteau de boucher dans le tiroir, j'ai enlevé la protection en plastique, et j'ai déverrouillé la porte d'entrée. Elle s'est ouverte subitement avec un nouveau coup de pied de Sarah, j'ai levé mon bras droit et... j'ai été réveillé par Amélie, qui pleurait. J'étais allongé par terre, dans le couloir. Je me suis levé et j'ai vu à côté de moi Sarah, allongée sur le côté, avec le couteau planté dans le ventre et la pointe qui ressortait dans le dos. »

Les pieds d'une chaise frottent contre le sol.

« Non je vous en prie ne partez pas, je suis innocent ! Je n'ai jamais voulu faire ça, je ne sais pas ce qui s'est passé, je vous en prie écoutez moi- »

Clic.

Le calme plat. Après être restée immobile pendant un instant, elle retire son casque, le débranche du lecteur de cassettes et le pose au bord de son bureau. Elle rassemble et réordonne les documents éparpillés pour les remettre dans le dossier cartonné. Elle se lève, et tend le dossier à l'homme en costard, qui attend, debout devant l'entrée.

« Ça m'a l'air viable. »

L'homme prend le dossier et acquiesce, ouvrant la porte et sortant le premier. La Femme le suit, puis ferme et verrouille la porte à double tour. Ils escaladent la petite butte et rejoignent l'étroite route qui la longe, pour monter chacun dans une voiture, et quittent le terrain vague, ne laissant derrière eux que le bruit de l'eau qui coule dans la petite rivière


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