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Vacances, chapitre 4

Lucidiot Écrits 2018-01-27
La situation prend une nouvelle tournure.


Samedi vingt-quatre décembre, huit heures quarante-et-un, heures de Paris, période post-flash. Il aura fallu plusieurs minutes pour que Rémi se remette suffisamment du déraillement qu'il a vécu, ainsi que de ses conséquences. Je lui explique au téléphone que le seul moyen dont nous disposons pour espérer au moins éviter que tout ça ne continue, et au mieux restaurer la situation telle qu'elle était avant le début de ces flashs, est de mener notre enquête. Peut-être que notre théorie n'est qu'une hypothèse farfelue inventée par des Lyokofans, mais peut-être que nous trouverons quelque chose ; le seul moyen de le savoir est d'agir.

Huit heures cinquante-huit. Après que le contrôleur de mon train venu du Nord aie fait une annonce expliquant aux passagers énervés qu'il y a eu des morts dans un autre TGV et que nous aurions pu être ceux concernés, sur un ton excédé qui a calmé les voyageurs ne saisissant pas la gravité de la situation, j'entends par le haut-parleur du téléphone une nouvelle annonce dans le train de Rémi, cette fois bien moins forte, où le contrôleur sudiste adresse toutes ses condoléances et annonce la mise en place d'une cellule psychologique à Montparnasse.

Je n'y avais effectivement pas pensé. Les flashs n'effacent pas notre mémoire, notre comportement. Cela cause en plus des autres dégâts physiques de possibles conséquences psychologiques ; comment réagiriez-vous si des événements surnaturels inexpliqués étaient à l'origine de décès de l'un de vos proches, ou tout simplement si vous assistiez à une mort cruelle et inimaginable de dizaines de personnes autour de vous, dont les seuls résidus sont des souvenirs et des corps sans vie, sans aucune autre trace, et sans coupables ?

Rémi me sort de mes réflexions en me signalant qu'il va raccrocher pour se préparer à sortir. Je lui rappelle rapidement qu'il doit prendre la ligne 4 vers Porte de Clignancourt et nous attendre à Châtelet, et lui souhaite surtout bon courage.

Neuf heures et neuf minutes, heure de l'horloge de Paris-Nord. Mon train arrive lentement en gare et s'arrête. Les portes s'ouvrent et je fais partie des premiers à sortir. Le train étant en unités multiples, c'est-à-dire que deux TGV ont été attelés l'un à l'autre, je me retrouve assez loin du hall de la gare, quelques centaines de mètres, justifiant que je transgresse un peu les règles des gares françaises et déplie ma trottinette pour circuler avec sur le quai.

Une fois arrivé au hall de Paris-Nord, il devient très naturel pour moi de cheminer dans le métro parisien, ayant toujours trouvé la signalétique assez facile à comprendre. Je rejoins rapidement un distributeur et me prends un carnet de tickets. Cette fois, mes billets ne se régénèreront pas magiquement, mais c'est pour la bonne cause. Une fois que le distributeur eut fini de me cracher une dizaine de morceaux de papier rayés, je pus rejoindre l'accès à la ligne 4 vers Mairie de Montrouge. Je perds quelques secondes à cause de quelques voyageurs essayant de franchir les portiques avec de grosses valides, mais je parviens à rejoindre le quai.

Comme je m'y attendais, les parisiens, trop occupés par leurs journées de travail même un vingt-quatre décembre, ne semblent pas le moins du monde influencés par ce qui nous arrivent et attendent, blasés et entassés le long du quai. Une voix familière rassure ceux qui s'impatientent : « Direction Mairie de Montrouge, prochain train une minute. » Approximativement une minute plus tard, une MP89CA se présente à nous et ouvre ses portes. Les habitués du métro sont bien mieux disciplinés que ceux de Lille ; ils se poussent et laissent réellement les gens descendre, ayant eux compris que cela leur laisserait de la place pour monter à bord.

Neuf heures et seize minutes. Alors que nous repartons après une fermeture des portes, je me rends compte en sentant mon téléphone vibrer que j'ai toujours du réseau. C'est pas à Lille, avec seulement deux pauvres lignes de métro, qu'on aura ce luxe. Valou me confirme qu'il est dans le métro, lui aussi un métro automatique, et qu'il n'aura qu'une seule station à faire ; il va devoir nous attendre. Je lui préviens donc qu'il devra patienter un peu. Je consulte mon application d'alerte de flashs et elle m'indique qu'il me reste seulement sept minutes avant une période pré-flash. Nous devrons rester ensemble à Châtelet et discuter en attendant de pouvoir reprendre à nouveau notre route sans avoir à la refaire une seconde fois.

Ce projet aurait pu bien se dérouler si mon métro ne s'était pas soudainement arrêté après la station Réaumur Sébastopol, juste avant Étienne Marcel, la dernière station avant Châtelet. Je demande à Rémi s'il a quelque chose lui aussi, et il me prévient qu'il a été arrêté à quai à la station Cité, là aussi la dernière avant Châtelet pour lui. Nul besoin d'être un expert en raisonnements pour en déduire qu'il s'est passé quelque chose à Châtelet.

Neuf heures et vingt minutes. La période pré-flash est censée débuter à neuf heures et vingt-trois minutes. On peut en tirer deux conclusions possibles : Soit c'est un incident lié aux flashs comme les autres et les intervalles entre flashs raccourcissent, soit c'est un incident n'ayant rien à voir, et nous sommes alors face à un bien plus grave problème.

Les crépitements du haut-parleur suivis par des balbutiements d'un régulateur nous annoncent qu'un attentat à la bombe à la station Châtelet est à l'origine de notre arrêt. Notre rame va repartir quand les policiers auront déterminé qu'il n'existe pas de dangers supplémentaires et que le trafic pourra au moins reprendre sans desservir Châtelet.

Cette annonce n'invalidant aucune des deux hypothèses et ne faisant que m'apporter la confirmation d'un des prémices de mon raisonnement, j'ai jugé plus utile de me replonger dans mon plan du métro parisien pour nous trouver des déviations. Valou me confirme aussi son annonce concernant l'attentat et je l'informe que nous allons bien. Après un peu de révision du plan, j'annonce mes nouveaux itinéraires.

Rémi et moi allons tous les deux rester sur notre ligne 4 pour rejoindre Strasbourg-Saint-Denis. Une fois que nous serons réunis, nous prendrons la ligne 9 et rejoindrons Saint Augustin, où nous attendrons Valou qui nous rejoindra en continuant sur la ligne 14 jusque Saint-Lazare, qui selon le plan a une correspondance avec Saint-Augustin. Nous pourrons ensuite tous ensemble rejoindre notre destination initiale.

Maintenant que cela est fait, il ne me reste plus qu'à m'adonner à la seule chose que je puisse faire : attendre. Je me réjouis à nouveau de la présence d'antennes relais dans les tunnels du métro et me promène donc sur Internet. Je constate au passage que la si la théorie actuellement des flashs est toujours valide, le prochain flash aura lieu dans quarante-quatre minutes.

Durant environ vingt minutes, je fais des recherches sur l'attentat. Tentant tant bien que mal de filtrer les infos sur Twitter pour ne pas se faire avoir, certaines personnes ont commencé à résumer la situation, ce qui m'aide un peu. Je vois apparaître sur mon blog des commentaires à un article exposant ma théorie sur les retours dans le passé ; certains commencent à y croire. L'un d'entre eux suggère que les terroristes auraient fait preuve d'une intelligence bien supérieure à celle qu'on leur connaît actuellement et profiteraient des flashs pour augmenter encore plus leur terreur sur les pays occidentaux.

Des passagers du métro avec qui j'ai engagé une conversation semblent plutôt d'accord avec cette idée, et il est vrai que des accidents meurtriers inexpliquables se produisant très régulièrement sont une aubaine pour des terroristes. D'après les premières infos provenant de sources un minimum dignes de confiance, un homme seul est bêtement entré dans la station, est allé dans le hall, a crié « Allah Akbar » et a bêtement fait sauter sa ceinture d'explosifs.

C'était la méthode la plus simple et la plus efficace : Marcher comme tout le monde avec un air blasé, mais en pressant toujours un peu le pas, sans oublier de courir uniquement dans les escaliers, passer à côté de militaires de l'opération Sentinelle qui n'ont ni le droit de contrôler une identité ni celui de fouiller quelqu'un, et se faire sauter sans attendre, sans leur laisser le temps de tirer, sans abandonner de bagages donc sans démineurs. Bref, exploiter les plus simples vulnérabilités de la mascarade anti-terroriste française.

Mon petit discours politique s'achève avec l'annonce du même régulateur que tout à l'heure, qui nous annonce cette fois que les rames repartiront comme je m'y attendais sans desservir Châtelet. Je ne m'attendais cependant pas à ce que ça se fasse dans plus de trente minutes, soit bien après le flash, ou plutôt mon heure théorique du flash. Mais s'il y a encore une once de validité de ma théorie sur les intervalles entre flashs, alors il s'agit bien d'un incident profitant de la situation de retours temporels et non pas d'une incidence des phénomènes que nous vivons ; car nous aurions déjà dû vivre un nouveau flash pour effacer cet attentat.

Dix heures et treize minutes. C'est l'heure de vérité pour tester à nouveau ma petite théorie. Rémi et Valou sont tous les deux dans la même situation que moi ; en train d'attendre la reprise de leur métro. Mes derniers renseignements me signalent que l'attentat a fait plus de morts que tous les autres incidents : une centaine de pertes humaines, causées non seulement par l'explosion mais aussi par la panique qui l'a suivie. Des bousculades, des piétinements tandis que la foule tentait de se disperser, des chutes dans les escaliers, et beaucoup de chutes sur les voies encore électrifiées. Les survivants de ce gros bazar ont quasiment tous au moins été blessés.

Un passager à bord de ma rame commence à s'énerver et crie tout en tentant d'appeler les régulateurs par le téléphone dans le métro, en disant que c'est toujours la même chose, qu'on va nous faire évacuer à pied sans nous rembourser, etc. Fort heureusement pour moi et mes oreilles, un flash se produisit comme prévu.

Neuf heures et vingt-trois minutes, heure de Paris, période post-flash. Je suis toujours coincé dans ce métro, mais avant que le passager n'aie une occasion de se remettre à s'énerver, notre ami de la RATP parle dans son micro et nous annonce que le trafic reprendra dans seulement quelques minutes, puisque la situation est déjà prise en charge par la police et qu'eux aussi en ont probablement marre d'avoir passé autant de temps dans cette station de métro jonchée de cadavres.

En attendant donc calmement ma délivrance, je me rends compte de quelque chose ; il y a eu un attentat qui ne semble pas lié aux flashs, vu qu'il s'est effectivement produit pendant une période de calme post-flash, et pourtant il n'y a pas eu de véritable incident, celui où nous revenons en arrière pour voir des corps morts avant l'heure de leur mort. Cela soulève beaucoup de questions dans ma tête. Les auteurs de ces flashs auraient-ils un lien avec les terroristes ? Ou peut-être ont-ils des objectifs communs, et par conséquent ont « annulé » leur incident pour donner plus de véracité à la propagande jihadiste qui suivra probablement ?

Je partage donc ces pensées sur les réseaux sociaux, dans l'espoir, même si j'y crois très peu, que quelqu'un aie un indice. Au moins, ça pourrait faire rigoler un peu les gens derrière tout ça, avec un ricanement digne de Fantômas. Je me retrouve légèrement poussé vers l'arrière, et constate à ma plus grande joie et celle des autres que notre métro repart. Je pus donc descendre à Étienne Marcel et reprendre la même ligne 4 dans l'autre sens pour rejoindre Strasbourg-Saint-Denis, en prenant soin d'éviter des journalistes postés aux stations près de Châtelet et voulant à tout prix questionner des gens ayant vécu un flash en étant coincés dans un tunnel.

Rémi repart lui aussi, dans la bonne direction, et sans vraiment savoir que je suis dans un métro juste devant lui. Valou se trouve toujours sur sa place assise, petit veinard, et attend tranquillement la gare Saint-Lazare. J'ose espérer que notre plan B se déroulera au moins comme prévu.

Une voix calme m'annonce Strasbourg-Saint-Denis à deux reprises. Les portes s'ouvrent, je descends, et je cherche rapidement le coin des correspondances, puisque nous devrons repartir sur la ligne 9. Je m'assois sur un banc en attendant Rémi, qui arrive quelques minutes plus tard. Dans l'habituelle folie que nous avons entre nous, nous nous saluons en prenant un accent parisien très exagéré, et nous nous faisons la bise. Nous ne prenons cependant pas le temps de commencer à répéter un sketch des Inconnus, et nous partons vers la ligne 9.

Après que Rémi se soit étonné de ma facilité à me promener dans tous ces couloirs, alors que j'ai un sens de l'orientation inexistant, nous rejoignons notre quai. Chouette, même pas à attendre, notre MF 01 est déjà là. Je regrette un peu ma MP 89, mon matériel préféré du métro parisien, mais un métro qui n'est pas sur pneus reste préférable pour mes poumons, puisque les freins à disques causent une forte pollution dans cet espace confiné.

Nous trouvons relativement facilement des places assises, et discutons jusqu'à Saint-Augustin, où nous descendîmes et attendâmes Valou. Un petit moment d'attente s'imposa donc, puisque Valou sembla s'être un peu perdu, ce qui est compréhensible quand on veut faire une correspondance plutôt peu effectuée dans une station connectée à une gare après un attentat sur le réseau, et il finit par nous rejoindre. Valou et Rémi font plus ample connaissance, et nous nous échangeâmes quelques gentillesses et conjuguaisons du passé simple avant de nous engager à nouveau sur notre route.


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