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Tu penses trop

Lucidiot Réflexions 2017-12-21
Sur-pensées sur la sur-pensée.


Voilà un article un peu spécial : Lord Vlad a eu la sympathique idée de nous faire échanger nos idées d'articles il y a quelque temps. Le Lord m'a donc donné comme sujet l'expression « Tu penses trop ». J'ai mis beaucoup de temps à y réfléchir, parce que l'inspiration ne venait pas. Dans l'optique d'améliorer mon écriture manuscrite, je me suis mis en tête d'écrire cet article à la main, sur du papier, un fait rare pour moi. C'est une plutôt bonne réussite ; place à une courte dissertation de philosophie.

Cette remarque, je n'y ai pas eu droit depuis longtemps ; cependant, on me l'a déjà faite, et elle peut porter à réflexion et à confusion. D'abord, à partir de quand pense-t-on trop ? Y a-t-il une limite claire à ne pas dépasser ?

La limite ne sera probablement pas quantitative ; d'abord parce que je ne connais personne qui prête attention au nombre de pensées de son interlocuteur par seconde, ensuite parce qu'on ne sait toujours pas estimer correctement le nombre de pensées que l'on a par seconde, tout simplement parce qu'on ne sait pas définir une pensée.

Internet semble dire que nous avons entre 15 000 et 80 000 pensées par jour, soit une pensée toutes les une à six secondes, mais ces estimations n'ont non seulement aucune source scientifiquement valide mais aussi aucune source tout court. Par conséquent, c'est ailleurs qu'il va falloir essayer de chercher la définition.

On m'a déjà fait des remarques de ce genre dans deux types de situations : celles où j'avertis des conséquences de quelque chose, et celles où j'extériorise un raisonnement particulièrement long.

Dans le premier cas, cette remarque apparaît quand quelqu'un semble trop se préoccuper des conséquences d'un acte, être trop prudent, par rapport à la moyenne des interlocuteurs, à ce que les autres pensent de la situation. Ce n'est pas un cas très intéressant sur lequel réfléchir ; tout dépend de la situation, du point de vue des interlocuteurs sur celle-ci et de l'application locale des lois de Murphy et du karma.

Les situations de raisonnement logique allongé sont en fait une sorte de généralisation des conséquences ; quelqu'un expose une théorie utilisant un raisonnement anormalement long ou complexe aux yeux des interlocuteurs. Quand un raisonnement de genre, aussi valide et important soit-il, n'est pas expliqué de manière suffisamment détaillée ou vulgarisée pour être compréhensible de l'auditoire, il va être rejeté. La position d'infériorité souvent acquise par les personnes qui réfléchissent beaucoup ou longtemps, en raison de leurs paroles plus rares face à d'autres personnes ayant plus de charisme, ou les notions de confiance interpersonnelles n'aident pas vraiment au développement de ce genre de théories.

On peut également faire mention de la possible invalidité du raisonnement, dont la probabilité varie selon la longueur du raisonnement et la solidité des bases dudit raisonnement ; la plus solide des bases ayant été définie par Descartes comme étant « Je pense donc je suis ».

Et cette base fondamentale apporte de la nouvelle matière à cette réflexion : Si penser fait de nous ce que nous sommes, ou plutôt si penser fait que nous sommes, peut-on être trop ? Y a-t-il une limite tacite au fait d'être ? Plus intéressant encore : Pourquoi devrait-il y avoir une limite au fait d'être, de penser ?

Le « Pourquoi » débutant cette question rappelle la question que posent inlassablement les enfants ; cette question qui fait souffrir des parents qui voudraient pouvoir passer un week-end tranquille sans avoir à expliquer à leurs gosses le fonctionnement de la théorie des cordes, la multidimensionnalité de l'univers et le système de coordonnées des portes des étoiles. Cette question est de moins en moins posée au cours du développement d'un individu, jusqu'à l'âge adulte où elle finit par presque disparaître. Elle ne disparaît pas par manque de questions à poser, mais par manque de réponses apportées, y compris en milieu scolaire1.

Cette disparition entraîne une absence de questionnement du monde qui nous entoure, ainsi que du questionnement de soi, de l'introspection. Le regard incrédule de la majorité des lycéens devant un cours de philosophie en est une démonstration flagrante ; si on ne se pose pas soi-même des questions, comment comprendre que d'autres puissent en poser ?

Voilà qui conclut cette réflexion : il n'y a pas de trop de pensée, il n'y a qu'un pas assez de créativité et de réflexion.


  1. Ken Robinson, Do schools kill creativity?, conférence TED, 2006 ↩︎


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